C’est une tendance indéniable : il se passe quelque chose dans nos entreprises qui requestionne la place du management. On n’a jamais autant parlé de libération, d’autonomie, de bonheur, et Isaac Geitz devient l’homme incontournable à inviter dans les conventions pour écouter sa bonne parole. Séduits par le concept, de plus en plus de dirigeants décident de se lancer sur cet excitant chemin de l’entreprise libérée.
On ne peut que se réjouir de toutes ces initiatives qui veulent tordre le coup au management pyramidale et directif qui étouffe l’autonomie et la créativité. Mais cet engouement questionne aussi sur le sens de toutes ces démarches : est-ce par ego du dirigeant pour laisser « une trace », ou plus cyniquement par pur calcul productiviste, ou encore pour nourrir un idéal et des valeurs personnels ? Dans le même temps, d’autres entreprises décrètent le bonheur comme un objectif à suivre et qui s’impose à tous, au risque de se mettre en marge du groupe.
Un paradoxe sous contrôle
Et ce sont aussi dans ces mêmes organisations que l’on voit se multiplier des injonctions paradoxales qui désorientent les salariés et cassent la confiance. Tel cas où le télétravail est autorisé le mercredi… seule journée où le salarié doit tracer toutes ses actions et les faire remonter à son manager. Dans un autre exemple, une volonté du dirigeant pour encourager l’autonomie se traduit par un accroissement du reporting et des indicateurs, par peur de ne plus rien contrôler. Ou encore telle entreprise qui affiche une belle ambition de devenir une entreprise libérée, mais où il est très mal venu d’exprimer un avis contraire à celui du dirigeant, au risque d’être exclu du collectif.
Malheureusement, la volonté de libérer l’autonomie des collaborateurs s’accompagne souvent d’un accroissement du contrôle dans un autre domaine, comme pour contre-balancer un mouvement qui inspire encore beaucoup de peur.
L’individu au coeur de la démarche
Car au-delà de la volonté affichée, c’est d’abord la posture individuelle et le sens qui sont au cœur de toutes ces démarches innovantes : une posture de confiance pour lâcher prise et mettre son ego de côté, pour accepter le chaos et l’angoisse de l’inconnu, pour exprimer ses peurs et accueillir celles des autres sans jugement. Ces injonctions paradoxales sont l’expression des 3 ennemies du changement citées par Otto Scharmer (Théorie U) : les voix de la peur, du jugement et du cynisme.
C’est bien la transformation individuelle, et en priorité celle des dirigeants, qui va déclencher et nourrir la transformation collective. Elle doit aboutir à un changement de posture où la casquette de facilitateur peut alors poser un cadre authentique et porteur de sens pour libérer la confiance, la parole vraie et l’autonomie.
Sans ce travail personnel, souvent long et difficile, tous ces mouvements de libération risquent malheureusement de s’enliser dans les sables mouvant des paradoxes.