S’adapter à l’incertitude

S’adapter à l’incertitude

S’adapter à l’incertitude 1280 720 Philippe Baran

Quels sont les points communs entre les entreprises qui ont su le mieux s’adapter à la crise que nous traversons ? Sur quels fondements ont-elles prises les décisions qui leur permettent de se remettre en mouvement et de mieux se préparer aux prochaines crises ?

Pour répondre à ces questions, j’ai choisi d’interviewer et de partager l’expérience de quelques dirigeants qui ont mis en œuvre des stratégies d’adaptation efficaces.

1 – Les étapes du processus d’adaptation

Pour Christian Clot, explorateur des conditions extrêmes et fondateur de l’Adaptatition Institute, la clé de l’adaptation passe par la capacité à se projeter, en passant par un processus en 3 étapes distinctes.

Phase 1 : la résilience

C’est la capacité à gérer l’urgence et la situation de crise. Sarah Vaquant, CEO de Motovario, avoue avoir été témoin d’une cohésion et d’une dynamique collective hors du commun, avec des équipes qui ont su innover et gérer l’activité en temps réel. Pour Isabelle Mutelle, DG de GEIRIC, ses collaborateurs ont su bondir sur toutes les opportunités et créer ainsi des formations jamais fait auparavant. Au sein de Nicomatic, la Directrice des Richesses Humaines, Stéphanie Camps, est fière des collaborateurs qui ont créé de leur propre initiative une cellule de coordination pour accompagner les clients, des équipes qui ont définis elles-mêmes leurs propres règles de vie.

Phase 2 : la stabilisation.

C’est une étape délicate qui intervient depuis le déconfinement, pour remettre les équipes en mouvement. Il ne faut pas sous-estimer l’impact émotionnel et psychologique de cette période. L’étude Covadapt montre que 57% des pers interrogées sont fatigués mentalement à la fin du confinement, 18% sont très marquées. La vraie peur n’est pas tant celle du virus que la peur de la crise économique et du dérèglement du monde. Pour Thomas Tarradas, Directeur Général du cabinet Optimhommes, pour pouvoir se projeter dans de nouveaux paradigmes, il est essentiel de passer par une phase d’analyse en se posant les bonnes questions :

  • Qu’est ce qui a bougé dans les facteurs clés de succès ? Peut-on agir dessus ?
  • Qu’est ce qui a marché pendant cette période ?
  • Comment ont évolué les interrelations avec les clients, les fournisseurs, les partenaires ?
  • Comment revenir à l’essentiel : qui on est ? où on va ? pourquoi ?

Mais cela n’est possible qu’en recréant d’abord du lien avec ses équipes, en partageant le vécu émotionnel avec ses équipes. C’est le temps pour prendre soin des autres, pour écouter.

Phase 3 : l’influence.

Pour Christian Clot, c’est la phase majeur pour transformer et faire évoluer le futur. On ne peut se projeter dans l’avenir que si les 2 premières étapes ont été franchies.

C’est pourquoi Frédéric Fourgous, DG de Actiglass, a profité du confinement pour accélérer le travail sur la raison d’être de l’entreprise, reclarifier ses valeurs, requestionner son mode de gouvernance, envisager le statut d’entreprise à mission. Pour Sarah Vaquant, c’est le moment de réfléchir à une dimension plus éthique de la finance.

Toutes les entreprises qui ont su s’adapter soulignent ce besoin de redéfinir des certitudesquand tout devient imprévisible, de s’accrocher à un noyau de stabilité quand tout est instable. Et comme le dit Dominique Steiler, titulaire de la chaire « Mindfullness et paix économique » de GEM, « Pour naviguer en eau trouble, le sens devient le radeau de survie ».

Pour avancer en confiance dans l’inconnu, il faut une identité forte, des valeurs puissantespartagées et incarnées, un ADN visible. Pour Aurélie Laval, fondatrice de You hand’Me qui crée des liens entre le monde du handicap et celui des entreprises, « la seule certitude, c’est dprendre soin de l’humain ».

2 – Concilier maîtrise et ouverture

Se projeter, c’est aussi savoir résoudre cette difficile équation pour gérer la complexité et que souligne Thomas Tarradas. D’un côté maîtriser ses fondamentaux, son domaine d’excellence, ce que l’entreprise sait parfaitement faire et là où elle apporte de la valeur. Et de l’autre côté, s’ouvrir à l’inconnu, repérer les signaux faibles, observer et saisir les opportunités sans perdre de vue son identité. Être à la fois dans la maîtrise et dans l’ouverture, de gérer à la fois le temps court et le temps long, l’urgence et le rêve.

3 – La source de nos décisions collectives

Mais alors pourquoi certaines entreprises arrivent à suivre ce processs d’adaptation alors que d’autres sont figées et bloqués dans leur fonctionnement du passé ?

Pour Philippe Silberzahn, professeur à EM Lyon, la clé réside pour lui dans le « mode mental racine » de l’entreprise, c’est-à-dire son système de croyance, ses valeurs intrinsèques qui sont à la source des comportements et des décisions.

Ainsi, l’ADN de Nicomatic repose sur 3 valeurs clés : la responsabilité, la confiance et la liberté. C’est pourquoi l’entreprise a laissé à chacun la responsabilité de choisir son mode de travail, a fait confiance à priori sans besoin de tout contrôler, a laissé la liberté à chaque équipe de s’auto-organiser. Pour Frédéric Fourgous, la raison d’être est de faire réussir des entrepreneurs dans leur territoire, et il a donc intégré des concessionnaires dans un comité stratégique pour imaginer le futur. Pour Claudine PAGON, DG de l’agence Insign, il s’agit de réinventer des stratégies de communication qui intègrent le « positive impact » pour répondre aux défis de la planète.

Pour d’autres organisations, le mode mental repose sur la méfiance et le contrôle, et ces variables se sont alors renforcée pendant la crise.

4 – Les compétences nécessaires pour s’adapter

Pour le Directeur Général d’Actiglass, chaque manager doit activer sa capacité à mettre du sens au cœur de l’action, « avec le sentiment de travailler quelque fois pour un projet qui le dépasse ».

Pour Sarah Vaquant, il doit être capable de lâcher prise sur sa perception du pouvoir pour impliquer d’avantage et donner plus d’autonomie.

Isabelle Mutelle souligne la nécessité de cultiver une âme d’entrepreneur pour oser s’aventurer hors de sa zone de confort et exprimer sa créativité.

Être en situation de handicap amène à développer encore plus son adaptabilité selon Aurélie Laval. Il est nécessaire pour elle de se connecter à ses qualités intrinsèques, « de développer l’écoute pour aller à l’essentiel, d’accepter sa vulnérabilité pour incarner un leader authentique.

Après avoir mené de nombreuses explorations, Christian Clot y ajoute une autre condition essentielle pour pouvoir se projeter et s’adapter. Nous devons développer sans cesse notre curiosité, notre envie d’apprendre de nouvelles compétences pour vivre des expériences et décaler notre regard, pour stimuler notre imagination. Et surtout garder notre capacitéd’émerveillement malgré l’inconfort de la situation à affronter.

5 – Oser passer à l’acte

Sarah Vaquant constate qu’il n’est pas si simple pour un manager de développer la confiance à priori et de laisser plus d’autonomie. C’est une des questions que se pose Claudine Pagon, pourquoi cette distorsion et cet écart entre des prises de conscience collective et le passage à l’acte qui engage vraiment ?

C’est aussi ce que révèle l’étude Covadapt: 58% des répondants ne souhaitent pas revenir à l’état initial, mais 95% reconnaissent n’avoir rien fait pour changer les choses à leur niveau. La prise de conscience d’une urgence est une condition nécessaire mais pas suffisante pour déclencher un vrai changement. Et avant de faire évoluer les croyances des autres, il est d’abord nécessaire de changer ses propres croyances.

6 – De la transformation de soi à la transformation collective

La porte de l’adaptationc’est d’abord la transformation de soi : passer de la transformation de soi à la transformation collective et non l’inverse. De très nombreux projets de changement échouent car les efforts sont mis en premier lieu sur l’organisation ou sur le collectif. Frédéric Laloux, l’auteur de Reinventing organization nous dit : il faut avoir un « je » profond pour pouvoir construire un « nous » puissant.

Ce travail sur soi est un préalable pour réussir des transformations collectives durables. Un travail souvent mis de côté et qui permet d’affronter ses peurs, de lâcher son ego, de se connecter à ses émotions, de se relier à sa nature profonde, de prendre soin de soi pour mieux prendre soin des autres.

C’est aussi une nécessité pour s’adapter individuellement à un monde devenu fou et pouvoir répondre collectivement aux défis du futur.