L’allure du Changement, inspirée du voyage

L’allure du Changement, inspirée du voyage

L’allure du Changement, inspirée du voyage 1000 662 Philippe Baran

Imaginez un voyage où il n’y aurait que du trajet, où les étapes s’enchaîneraient les unes après les autres. Vous avez bien une destination à atteindre, mais elle paraît si loin que toute votre énergie est mise dans le mouvement, dans un déplacement effréné d’étape en étape. A peine arrivé, il faut songer à repartir, pas la peine de vider son sac ou se songer à souffler un peu. Et le jour où par miracle, vous atteignez enfin votre destination…il faut quand même reprendre la route car la destination vient de changer, toujours un peu plus loin, toujours plus inaccessible à mesure qu’elle se rapproche.

Vous êtes épuisé de ce mouvement permanent, mais vous n’avez pas le choix car vous ne savez même plus pourquoi vous voyagez. En fait il n’y a même plus de destination, il n’y a plus que du mouvement, du déplacement précipité pour aller d’un endroit à un autre. Il n’y a plus de sens, que de l’agitation qui a contaminé tous vos compagnons de voyage. Finalement, tout le monde court sans savoir où aller.

 

Voyage VS. Déplacements

Je vous l’accorde, ce n’est pas une vision du voyage qui fait rêver. J’ai pourtant rencontré de nombreuses personnes qui vivent le voyage comme une succession de déplacements, une collection de visites à empiler. Ils pensent voyager mais ils ne font que se déplacer, et de plus en vite à mesure que les moyens de communication abolissent les frontières du temps et de l’espace. Je suis convaincu que la vie est un voyage, et que nous voyageons comme nous vivons au quotidien. Le voyage est le reflet de notre regard sur la vie et sur notre façon d’appréhender le monde et le temps. Il en est de même dans les organisations et les équipes, car la façon de concevoir le changement se conçoit aussi comme un voyage.

 

Philosophie du voyage

Cette réflexion m’est venue après la lecture d’un petit ouvrage passionnant écrit par Patrick Manoukian, « le temps du voyage – petite causerie sur la nonchalance et les vertus de l’étape ». L’autre y décrit sa philosophie du voyage à travers sa propre expérience, vision dans laquelle je me suis parfaitement retrouvé. Il y fait cette distinction fondamentale entre le trajet et l’étape, les 2 notes qui composent la musique du voyage. Il y a en permanence cette alternance de rythme entre le trajet qui se vit dans le mouvement et l’espace, et l’étape qui se vit dans la lenteur et le temps. L’une ne peut vivre sans l’autre, mais c’est l’étape qui donne du sens au voyage, quand elle se nourrit d’inattendu, de rencontres, d’émotion, de surprises impossibles à planifier. Quelle tristesse de faire un voyage où tout ce que l’on voit a été prévu par d’autres, où l’on se contente de vérifier que l’étape ressemble à l’idée que l’on s’en faisait, où les bons moments à vivre figurent déjà dans tous les guides.

 

L’imprévisibilité du voyage

Je me rappelle mes plus beaux moments de voyage et d’émotion : ils sont toujours imprévus, singuliers et liés à une rencontre qui m’a touché. Pour l’auteur, le trajet est de l’ordre du physique, alors que l’étape est de l’ordre de l’intime et de l’émotion. Quand le voyageur sait où il va, il se prive de cette jouissance de la rencontre improbable, de ces moments intenses qui composent le fil de la vie. Il fait l’éloge de la nonchalance, cette absence de l’obsession de la destination et résultat, cette liberté choisie d’apprécier le temps présent, plus que le temps qui reste à venir. Les haltes ne sont pas des points de progression programmés et sans âme, mais des moments privilégiés et inattendus.

La temporalité du voyage

Le rythme passionnant du voyage, c’est cette alternance entre l’envie de partir et de rester. Il se définit plus par l’allure que par la destination, par le sens plus que par le programme. « Pour voyager heureux, il faut voyager surpris, c’est-à-dire ne pas avoir de but pour saisir, à chaque instant, l’occasion d’une halte imprévue. La force du voyage, c’est ce qui nous en détourne. »

L’étape et l’itinéraire sont 2 temps à vivre simultanément mais de manière différente.
C’est le sens de ce dicton africain : « la route n’enseigne pas au voyageur ce qui l’attend à l’étape ».

Un voyage vers le changement en entreprise

C’est là une belle métaphore pour observer comment les organisations appréhendent le voyage de leur propre transformation. Où sont les temps de pause et de halte, quelle est la part laissée à l’imprévu, à la rencontre, à l’émotion ? Est-ce la destination et le résultat qui l’emporte sur l’allure ? Pourquoi faut-il tout planifier, tout prévoir, corriger les écarts pour aller vers une destination qui change continuellement et qui n’attire finalement personne ? Qu’est-il prévu pour laisser émerger l’imprévu ?

Aujourd’hui, les équipes courent de plus en plus vite, s’épuisent à s’agiter dans tous les sens sans savoir pourquoi, sans prendre le temps de la halte, de la pause où tout se joue, d’où va émerger l’envie de repartir, l’énergie de continuer à avancer collectivement vers une prochaine étape.

 

Se recentrer pour se préparer au changement

Dans le monde imprévisible, incertain et complexe dans lequel nous vivons, il n’y a plus vraiment de destination à atteindre. La capacité à cheminer dépend plus de notre faculté à saisir l’instant, à rebondir face à l’échec, à imaginer des solutions nouvelles, à voir le monde autrement. Et cela n’est possible que si l’on s’autorise à faire une pause, à sentir ce qui se passe pour soi même et pour les autres, à se connecter à ses intuitions, à laisser faire la magie de la vie, à faire confiance dans ce qui n’existe pas encore et à ce qui ne peut se prévoir.

Plus on va vite, plus la dictature de l’urgence se renforce, plus il est essentiel de réhabiliter ces temps de halte…à condition de les vivre autrement que dans le mouvement, à ne pas tout prévoir pour occuper ce temps essentiel, rare et précieux.